La souffrance au travail est une donnée majeure de l’évolution sociale actuelle. Elle tient compte du déséquilibre de la santé de nombreux individus. Un des marqueurs forts de cette perte d’équilibre est représenté par les perturbations de la sexualité.
Les cadences élevées, le stress, le harcèlement moral, la relégation, la placardisation, induisent des pathologies de la suractivité ou du sous-emploi, de la fatigue et de l’usure professionnelle. Ils provoquent également de l’anxiété au travail, de l’isolement, de la violence…
Plus précisément, l’atteinte à l’intégrité physique et mentale des salariés est à l’origine de pathologies professionnelles telles que les dépressions réactionnelles, les maladies psychosomatiques, les problèmes de sommeil, mais aussi des pathologies concernant la santé physique comme les troubles musculo-squelettiques (TMS), les douleurs de dos et/ou dles membres.
Cette atteinte à l’intégrité psychique et mentale est aussi à l’origine de troubles sexuels, tels que la dysfonction érectile, les troubles du désir (absence de désir, manque de libido), la raréfaction des rapports, l’anhédonie… Une charge de travail trop élevée, des objectifs irréalisables amènent les professionnels à privilégier leur vie professionnelle au détriment de leur vie personnelle. Le travail est « sublimé ». Les pulsions sexuelles sont dirigées vers l’activité professionnelle.
« Le Travail a le bras long »
Pour les salariés subissant cette souffrance au travail, différentes situations peuvent s’observer :
La relation d’attachement
Concrètement, j’ai pu observer, dans le cadre de mon activité de Psychologue Clinicienne du Travail, qu’un certain nombre de travailleurs en souffrance, « au bout du rouleau », représentaient des « proies » sexuelles » pour des supérieurs hiérarchiques. Dans ces différents cas, à un moment donné, la personne abdique de ce qui constitue sa dignité, et, pour des raisons de facilité et/ou d’espoir de tranquillité, cèdent aux avances sexuelles de son supérieur hiérarchique.
C’est alors une relation de dépendance, d’aliénation de sa propre autonomie psychique par rapport à l’autre. Elle débouche sur la soumission à la volonté de l’autre. Cela peut se traduire par un passage à l’acte lorsqu’une personne est victime de harcèlement sexuel. L’exemple d’une assistante de direction, qui est venue se confier à moi, va nous permettre d’illustrer ces propos. Elle travaillait depuis de nombreuses années avec un directeur, qui, tout en lui faisant constamment des commentaires sur son physique et l’attrait qu’elle provoquait chez lui, lui reprochait dans le même temps, continuellement des « erreurs ». Suite à un projet de réorganisation, l’assistante a eu peur d’être remplacée par une autre salariée, et a souhaité se rendre indispensable auprès de son directeur. Pensant modifier le cours des choses, elle décida de répondre à ses avances en
l’accompagnant un soir chez lui. Le lendemain, non seulement, elle n’a pas eu plus de garantie quant à son maintien à son poste de travail, mais en plus il s’est adressé à elle avec encore plus d’autorité et de violence.
L’ambiguïté relationnelle s’apparentant au « syndrome de Stockholm »
D’autres fois, l’ambiguïté relationnelle a pour contexte une véritable tyrannie de l’employeur.
Longtemps après les évènements vécus, un certain nombre de victimes se sont confiées à moi. Elles
m’ont raconté comment elles sont arrivées à s’attacher à leur « bourreau ».
Ce comportement paradoxal a été décrit et qualifié pour la première fois en 1978 par le psychiatre américain F. Ochberg suite à un fait divers qui défraya la chronique durant l’été 1973, quand, au terme d’un hold-up manqué dans une banque de Stockholm, on vit les otages prendre fait et cause pour leurs ravisseurs, allant jusqu’à les protéger contre la police puis, après leur libération par les forces de l’ordre, à refuser de témoigner à charge contre eux lors du procès et à leur rendre visite en prison. L’une des victimes, tombée amoureuse de l’un de ses ravisseurs, finira même par l’épouser.
On retrouve l’équivalent de ce syndrome dans le monde du travail, où certains collaborateurs tombent amoureux de leur patron harceleur, et cèdent aux avances de ce dernier.
Pouvoir d’agir et santé sexuelle
La souffrance n’est pas seulement le résultat de l’activité réalisée. C’est ce qui ne peut pas être fait « le réel de l’activité » qui entame le plus. La souffrance trouve son origine dans les activités empêchées qui ne cessent pourtant d’agir sur les sujets et en chacun d’entre eux sous prétexte
qu’elles sont réduites au silence dans l’organisation. Elles suivent le sujet jusqu’à son domicile, dans sa chambre à coucher, et bien sûr envahissent ses pensées et l’empêche de libérer son esprit pour se consacrer à son partenaire. Yves Clot, Professeur-chercheur, Directeur de la Chaire de Psychologie Clinique du Travail au CNAM, nous indique que cette force de travail stérilisée nourrit une passivité ruineuse.
Cette situation de stress intense peut même aboutir à un burn out, ou l’individu sera complètement vidé de toute substance, et donc incapable d’avoir des relations sexuelles avec son conjoint.
Telle autre personne pourra mener une vie sexuelle en apparence identique à la période précédant la situation de stress. Mais en réalité, l’individu sera robotisé. De ce fait, il devient difficile de diagnostiquer le syndrome. Ce qui peut dans le pire des cas, entrainer un suicide.
Concernant les managers dont les objectifs fixés par la Direction induisent indirectement de la souffrance au travail chez leurs collaborateurs. La personne qui est amenée, d’une façon indirecte, à porter atteinte à l’intégrité physique et mentale chez ses collaborateurs, est inlassablement rattrapée par un conflit intérieur. A peine a-t-elle pris conscience de la contradiction entre ce qu’elle tient pour juste d’un côté et un acte qui tendrait à la faire collaborer à ce qu’elle réprouve, de l’autre, qu’elle est poursuivie par l’angoisse de la lâcheté,
de la compromission ou de la trahison de soi. Et l’angoisse ne la lâche plus tant qu’elle n’a pas trouvé la solution au conflit qui la hante. C’est la raison pour laquelle l’autonomie morale est coûteuse, voire risquée, vis-à-vis de l’équilibre psychique. Il est, de fait, plus facile, au regard de la santé mentale, de se laisser glisser vers la position perverse (tenir le rôle du harceleur par exemple) que de tenir sur ses exigences éthiques. Cette angoisse induit un grand nombre de troubles perturbant l’état de santé. Dans ce cadre, il ne faudrait surtout pas sous-estimer l’impact majeur sur l’équilibre sexuel.
Christophe Dejours, Psychiatre, Professeur-chercheur, Directeur de la chaire de Psychopathologie du Travail au CNAM, nous rappelle que l’un des mécanismes de défense les plus sollicités dans ce cas précis, est le clivage qui traverse tout l’appareil psychique, jusqu’à l’inconscient lui-même, installe dans le fonctionnement psychique la possibilité fondamentale d’une duplicité qui est peut-être le problème fondamental légué par ce parcours entre sexualité et travail. L’être humain est double. Au nom du travail, de la productivité et de la rentabilité, il peut être amené à apporter son concours à des actes que moralement il réprouve. Il parvient à maintenir ce clivage par la formule de l’accrasie, cette faiblesse de volonté qui lui permet d’agir à l’inverse de ce qu’il croit juste ou bien tout au long de sa vie professionnelle, chaque jour, constamment.
J’ai également reçu à mon cabinet des managers qui, pendant plusieurs mois ou années, ont pratiqué comme stratégie de management des ressources humaines, le harcèlement moral. Ceci afin de parvenir à réduire les effectifs, ou faire appliquer une politique d’économie budgétaire. Lorsqu’ils viennent à mon cabinet, ils se sentent déprimés et n’ont plus d’appétit sexuel. Le clivage qui leur a permis d’accomplir les directives de leur direction les rattrape.
Au fil des années de pratique de mon activité professionnelle, je me suis rendue compte que la discipline de la Sexologie avait de plus en plus de lien avec la Psychologie Clinique du Travail. La sexualité tient une place non négligeable dans l’attention que l’on porte aujourd’hui aux risques psycho-sociaux.
Mettre en lien la souffrance au travail avec la sexualité est une façon de prendre en compte ces risques dans leur globalité.
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